vendredi 28 décembre 2007

La révolte de 1834 : analyse

J-B Monfalcon est le représentant de la bourgeoisie soutenant Louis-Philippe. A ce titre, ce qu’il écrit sur la Fabrique, sur la révolte de 1834 (son livre paraît en juin 1834), sur les ouvriers est particulièrement intéressant pour connaître l’esprit de la société au pouvoir à cette époque. D’autant que ses réflexions sont à mon avis, encore d’actualité sur un certain nombre de points.
En exergue de « L’Histoire des insurrections de Lyon » cette formule : « Arbeite und Hoffe » « Travaille et espère ».

Sur les fabricants :
« Le fabricant n’est pas un simple commissionnaire ; il ne se borne pas à recevoir les commandes de l’intérieur et de l’extérieur, à servir d’intermédiaire passif entre le marchand qui vend la soie et l’ouvrier qui la tisse : le fabricant est l’industriel véritable ; il fournit, non seulement la matière première, les capitaux, mais encore le dessin qui constitue l’étoffe. Toutes les chances de perte sont pour lui, si l’étoffe fabriquée ne s’est pas vendue ; lui seul est responsable ; il est l’unique entrepreneur. Dans la production des tissus de soie, le fabricant est la pensée qui crée et l’ouvrier, l’instrument qui exécute. »

A l’idée d’une association possible entre le fabricant et l’ouvrier, il répond :
« C’est impossible.Il n’existe que des rapports nécessairement fortuits entre les chefs d’atelier et les fabricants ; aucune solidarité autre que celle du contrat du moment ne peut les lier. Il faudrait une convention entre eux et alors la participation aux bénéfices suppose, de droit, une participation égale à la perte. L’ouvrier est dans l’impossibilité de la faire. Serait-il équitable de ne l’associer qu’aux bénéfices dans l’exercice d’une industrie où le fabricant apporterait la part principale, ses capitaux et le dessin de l’étoffe ? Et le secret du grand-livre, comment serait-il gardé ? Que deviendrait la sûreté des opérations commerciales si le chef d’atelier, devenu sociétaire, était en droit d’exiger communication des livres de compte et de caisse ? »

Sur le rôle de chacun :
« La prospérité de la fabrique ne doit pas consister, pour l’ouvrier dans un haut salaire, pour le fabricant dans le plus grand abaissement possible du prix des façons ; elle résulte du nombre et de l’importance des demandes, de l’abondance de la consommation, de la valeur à laquelle l’étoffe se maintient. Il faut que l’ouvrier et le fabricant gagnent : celui-là doit retirer de ses labeurs les moyens d’entretenir sa famille ; celui-ci est en droit de demander à son commerce, un bénéfice proportionné aux capitaux qu’il expose. Si le prix de la main d’œuvre est descendu trop bas, comment l’ouvrier pourra-il pourvoir à sa subsistance ? N’est-il pas juste qu’il soit nourri de son travail ? Si les prétentions du tisseur sont trop élevées, comment le fabricant soutiendra-t-il la concurrence étrangère ? Peut-on raisonnablement le forcer à vendre à perte ? Le bien sagement compris de la fabrique ne demande pas le sacrifice des intérêts des uns à l’intérêt des autres. Il s’agit de régler leur rapport. Les bénéfices du fabricant et le salaire de l’ouvrier viennent de la même source, la consommation. Si l’insuffisance des salaires forçait les ouvriers à quitter notre ville que deviendrait la fabrique ? Si l’esprit d’insurrection des masses forçait les capitaux à disparaître et les négociants à suspendre leurs affaires que deviendrait l’ouvrier ? Fabricants et tisseurs ont un même besoin les uns des autres. »

Sur les révoltes :
« Il serait bien temps de parler aux ouvriers en soie de leurs devoirs après avoir si longuement entretenus de leurs droits. Il serait surtout utile de leur démontrer, par l’expérience des ateliers depuis quatre années que l’inévitable résultat des coalitions et des insurrections, c’est la cessation du travail et l’abaissement du salaire. Ce qui les ruine, on ne saurait trop le leur répéter, la véritable cause de leur misère, c’est l’émeute ; toute amélioration dans leur condition matérielle repose sur ces deux conditions : « tranquillité et travail ! » Qu’ils laissent la politique, ils ne sauraient la comprendre et elle ne peut leur apporter que du dommage en les égarant sur leurs vrais intérêts ; qu’ils renoncent pour toujours à leur impuissante et funeste association ; la paix et la liberté, voilà la vraie association nationale et la seule qui puisse leur être profitable. »

Sur les ouvriers :
« Les classes qui vivent uniquement du travail de leurs mains n’ont point acquis encore assez de lumières pour discerner ce qui convient le mieux à leur intérêt, sans nuire aux intérêts de tous. Et jusqu’à ce qu’elles aient acquis à cet égard les idées qui leur manquent, elles seront exposées à élever des réclamations dont le succès, s’il était possible, ne tarderait pas à empirer leur condition. »
« Ils vous trompent ceux qui cherchent à exciter votre indignation contre le luxe des riches ; car c’est le luxe qui vous fait vivre : c’est lui qui alimente vos métiers ; c’est lui, lui seul, qui consomme vos brillantes étoffes ; sans lui, vos femmes et vos enfants manqueraient d pain auprès de vos métiers inoccupés. Votre industrie est une industrie de luxe ; c’est le luxe qui a fait de Lyon l’un des plus grands centres de l’Europe commerçante. »
« Sans l’économie, l’ouvrier ne peut dans les bons jours pourvoir aux jours mauvais. C’est par elle que se font les transitions de la classe pauvre, mais laborieuse, à la classe aisée ; avec elle, l’homme actif et industrieux n’est jamais embarrassé du présent et inquiet de l’avenir. Bien entendue, l’économie fait des petites fortunes et conserve les grandes. Activité et prévoyance telle est la voie lente, mais sûre qui conduit l’ouvrier au bien-être ; « travaille et espère », telle doit être la devise de l’homme, quelle que soit sa condition. »
« Le maître ouvrier lyonnais ne vit pas comme faisaient ses pères : il a contracté des habitudes qu’ignoraient ceux-ci, le goût des théâtres et celui des plaisirs coûteux ; il fréquente les cafés et est en général bien vêtu le dimanche. Son logement n’est plus un noir taudis, dans une rue étroite et infecte ; des maisons vastes, bien éclairées et bien aérées, ont été construites pour lui dans de très beaux quartiers. Ainsi d’un côté, diminution forcée des salaires et de l’autre augmentation croissante des dépenses. »

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