dimanche 6 avril 2008

Des os d'éléphants découverts à la Croix-Rousse

Imaginons que le Progrès ait été créé au début du XIXème siècle. Le correspondant de la Croix-Rousse, aussi peu rétribué qu'aujourd'hui, aurait pu réaliser cette interview :

Interview exclusive de Monsieur le chevalier Bredin directeur de l’Ecole Vétérinaire

Monsieur Bredin quel effet vous a fait la découverte en août de ses os fossiles dans la commune de la Croix-Rousse ?
Ce n’est pas sans une profonde émotion que je me trouve en présence de ces vieux témoins des catastrophes et des révolutions qui ont changé la face du monde ; ce n’est pas sans faire je ne sais quel retours mélancoliques sur ma destination et sur la destination de l’humanité, que j’interroge ces prestigieux témoins dont la durée effraye l’imagination d’une créature qui hier n’était point encore et qui demain ne sera déjà plus.

Que peuvent nous apporter vos observations ?
Déjà, ces immenses dépôts de bélemnites, d’échinites, d’ammonites, d’encrinites, et de tant d’autres animaux marins que nous voyons dans nos rochers calcaires, prouvent à l’observateur averti qu’à diverses reprises, les contrée aujourd’hui habitées ont été couvertes des eaux de mer ; ils lui apprennent qu’il y eut un temps où la terre n’était ni ornée par les végétaux, ni animée par les êtres sentants.

Pour revenir aux os d’éléphants, où ont-ils étés trouvés ?
Ces os, provenant de mammifères, il n’y a pas que des éléphants, ont été trouvés dans un jardin que M. Krauls, manufacturier et propriétaire, possède à Caluire, sur les limites de cette commune et de la Croix-Rousse, dans l’angle que forment entre eux, le chemin de la Boucle qui conduit au Rhône et celui de la grille qui conduit au village de Caluire, à Margnole, à Montessuy, à la Carette, etc.

Pouvez-vous préciser pour nos lecteurs… ?
Ce jardin est situé près du sommet ou de la croupe de la colline, au commencement de la pente qui s’incline vers le Rhône, c'est-à-dire sur le versant de la Croix-Rousse qui regarde le Rhône, la plaine du Dauphiné, la chaîne des Alpes, le Mont-Blanc… Il est par conséquent exposé au sud-est. Son sol en pente douce, est incliné du nord-ouest au sud-est ; plus loin la pente de la montagne devient plus rapide et s’abaisse dans le vallon assez profond qui suit le chemin de la Boucle.

Dans quelle circonstance cette découverte ?
M. Krauls faisait construire une maison dans la partie supérieure de ce jardin qui longe le chemin de la grille. Des pionniers maçons, en creusant à 4 mètres au sud-est de la bâtisse, une grande fosse dont ils retiraient une terre marneuse rouge, qui, dans nos contrées, sert à bâtir en pizai, ont trouvé à 23 décimètres au-dessous du sol, des os très volumineux qu’ils n’ont pas hésité à regarder comme provenant de ces anciens géants que l’on prétend avoir autrefois peuplé la terre.

Et vous ne croyez pas à cette hypothèse ?
Bien sûr que non ! Nous remarquons que presque tous les écrivains d’Europe, même les plus éclairés et les moins crédules, qui ont précédés le dernier siècle, attribuèrent à cette ancienne race de géants tous les os dont la grosseur était supérieure à celle des plus forts animaux de nos climats. Sous le règne de Louis XIII, on montrait à Paris des ossements d’éléphants trouvés en Dauphiné, non loin du Rhône, qu’on faisait passer pour les restes de Teutobochus, ce roi des Cimbres qui combattit contre Marcius ! Il n’y a pas 20 ans qu’on fit don à l’Ecole Vétérinaire d’un fémur d’éléphant, sur lequel on avait fait mouler ces mots : Os de géant !

Ces os, ils appartiennent tous à un ou des éléphants ?
Mais non ! Je vous l’ai dit : les uns appartiennent à un éléphant, d’autres à des chevaux, d’autres enfin à des bœufs.

Sont-ils nombreux ?
Pour l’éléphant il y a une mâchoire inférieur armée de quatre molaires, une vertèbre lombaire, une énorme apophyse épineuse appartenant à la troisième vertèbre dorsale, la première côte, les deux humérus, une tête de fémur, les deux tibias et un grand nombre de fragments divers. J’ai décrit, mesuré et dessinés ces os avec de grands détails. J’ai aussi situé exactement la position sur le terrain de tous ces os.

Quand on parle d’éléphant, on pense aux défenses…
On n’a pas trouvé de défenses dont il est néanmoins probable que l’éléphant était pourvu ; mais j’espère qu’en creusant plus profondément du côté du N. O. on découvrira ces os qui, vu leurs poids et le peu de surface qu’ils représentent, ne seront plus enfoncés dans une terre molle et légère.

Pour terminer Monsieur le directeur, nos confrères de la capitale discute sur la question de savoir si les os fossiles, appartenaient ou non à l’un des éléphants d’Annibal. Quand pensez-vous ?
Je ne crois pas. Je suis en train d’écrire pour démontrer que ces os appartenaient à l’élephas primogenius, antérieur au temps d’Annibal et que c’est une espèce qui était déjà éteinte avant les guerres puniques.

Sources Archives historiques et statistiques du département du Rhône 1825

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